La vie quotidienne dans les tranchées
Les tranchées, version française |
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La vie dans les tranchées, ou plutôt la survie dans les tranchées, commence dès l'instant où les armées allemandes reculent pour s'installer sur des positions défensives dès le mois de décembre 1914. Les barbelés, les tranchées et les blockhaus sont les premiers éléments de la défense allemande. Les attaques frontales françaises tournent alors aux massacres. Aussi, les armées françaises se mettent à creuser des tranchées pour se mettre à l'abri de l'artillerie allemande. Rester en vie dans les tranchées est plus difficile que d'y mourir. Cela s'applique aussi bien aux soldats allemands qu'aux soldats français. La création de ces tranchées transforme de nombreuses unités militaires, comme la cavalerie, en fantassins de tranchées. L'infanterie devient ainsi la reine des batailles. Certains artilleurs s'y adaptent également en mettant au point des mortiers tels que les crapouillots. Au total, on dénombre entre 7 000 et 10 000 km de tranchées, rien que sur le front occidental, toutes armées confondues.
Durant la Grande Guerre, de nombreux soldats font la connaissance des hommes qu'ils côtoient au quotidien. Même si la majorité des soldats sont des paysans, d'autres soldats proviennent de milieux sociaux différents. Avec la guerre, tous ces hommes sont sur le même pied d'égalité. Tous mangent, dorment, souffrent ensemble dans les mêmes tranchées. Dans ce contexte, tricher ou faire semblant devient inutile. Chaque homme montre sa vraie nature, qu'il soit lâche ou brave, franc ou fourbe. Au bout d'un certain passé dans les tranchées, certains soldats finissent par s'unir et ne former qu'un ou plusieurs groupes solidaires. Cette union est très importante pour le moral des soldats, car ils connaissent tous un jour une défaillance plus ou moins grande. Que cette défaillance soit due à une fatigue physique ou mentale intense, un manque de nourriture, un choc psychologique profond, les camarades de tranchées seront présents pour donner un coup de main. Ces soldats sont unis dans la souffrance, la douleur, la faim, la privation, etc. Ils sont également unis dans les bons moments qui peuvent paraître simplistes aux yeux des gens de l'arrière, mais qui sont tellement importants dans les tranchées. Ces bons moments peuvent être le partage d'une bouteille de vin, le quart de vin hebdomadaire, un repas chaud, une permission, etc.
Aussi étonnant que cela puisse paraître de nos jours, la perspective d'une blessure ne constitue pas une obsession pour le soldat qui peut s'en sortir sans égratignure, mutilé ou plus radicalement être tué. S'il croit en son invulnérabilité, ce sentiment le quitte lorsque survient la première blessure grave. Lors de son évacuation du champ de bataille par les brancardiers, il ressent une certaine insécurité qui se traduit souvent par la peur. S'il doit quitter lui-même le champ de bataille, le sentiment ressenti est celui d'un soulagement, car s'il est capable de regagner lui-même ses positions c'est que sa blessure n'est pas trop grave. Tout soldat, sans exception, a peur à un moment donné lors d'une guerre pour autant qu'il soit au contact de l'ennemi. En dépit de cette peur, une majorité des soldats fait preuve d'un courage admirable en faisant son devoir tout en essayant de maîtriser sa peur. La peur et le courage sont deux sentiments opposés qui parfois sont très proches de par les gestes qui sont identiques fassent à une situation extrême. Lors d'un assaut, lorsqu'un soldat se jette dans un trou d'obus pour se protéger de l'explosion d'un obus, le soldat fait-il preuve de courage ou de peur ? Dans les tranchées, il n'existe qu'une seule forme de courage : tenir ! Pour démontrer un courage dans la vie des tranchées, il n'est pas nécessaire d'être un croyant avéré. Mais il est incontestable que les croyances et la foi permettent aux soldats de surmonter la peur et la mort et de tenir dans les pires moments. Si beaucoup de soldats se passent des prières, tous respectent la religion et ses représentants. Les prêtres et les aumôniers sont nombreux sont les fronts. Cette attirance de la religion tient dans la crainte de la mort qui préoccupe à des degrés divers chaque soldat. Avant un assaut, des messes sont organisées. Avec le temps, elles prennent de plus en plus d'ampleur. Pour se préserver de la mort, certains soldats portent sur eux une médaille, un écusson voire un drapeau du Sacré-coeur. Ainsi se mêlent religion et superstition dans un même but de protection.
La mort fait partie du quotidien des soldats dans les tranchées. Ils la perçoivent par la présence des corps dans le no man's land ou par des croix en bois faisant office de tombes creusées rapidement à proximité de leurs tranchées. Ils la sentent également à travers les chairs en décomposition dans le no man' land. Ils la ressentent en voyant les rats et les oiseaux grouillés près des corps se trouvant dans le no man's land. Mais ces spectacles de la mort ne les amènent pas tous pour autant à concevoir leur mort. Face à cette épreuve mentale extrême, les plus forts arrivent à faire preuve d'une certaine indifférence. Avec le temps, ces soldats se sont endurcis. Ils n'ont pas le temps, ni le loisir, de s'émouvoir sur ces sentiments. Ils doivent rapidement se forger une carapace s'ils veulent rester en vie. Par contre, pour certains soldats, cette épreuve les rend malades nerveusement. Certains perdent pied et se suicident avec l'aide de l'ennemi ou non. Certains encore sont envoyés dans un hôpital mais sont rapidement renvoyés dans les tranchées, car ces nouvelles maladies ne sont pas encore connues dans le monde médical.
De nombreux fléaux compliquent le quotidien des soldats dans les tranchées. Les changements climatiques et les parasites empoisonnent leur existence. La pluie et par conséquent la boue qui en découle sont sans conteste l'un des ennemis, l'un des fléaux les plus compliqués à gérer pour les soldats des tranchées. Le premier hiver de guerre de 1914 se passe dans des conditions épouvantables pour les soldats, car rien n'a été prévu pour une guerre de positions figées, une guerre de tranchées. Les soldats doivent improviser pour tout. La pluie, qui tombe abondamment, inonde les tranchées, s'infiltre à travers les toiles de tente, mouille les couvertures, fait s'écrouler les sacs de terre, fait s'ébouler les parapets. Les soldats sont pris dans la boue grasse qui a envahi les tranchées et les boyaux. Si la pluie est insistante, la boue devient encore plus épaisse et dépasse les genoux. Le sol irrégulier des boyaux se recouvre d'une épaisse couche de boue qui parait le niveler. Effet trompeur dans lequel des soldats s'embourbent et doivent attendre l'aide d'autres soldats pour s'en sortir. Parfois ils y laissent même une chaussure. D'autres, la vie. La pluie pénétrante, imprègne les tenues devenues sales qu'elle raidit et alourdit. Dans ces conditions difficiles, les soldats doivent entretenir leurs tranchées en écopant l'eau à l'aide de sceaux et de pompes. Ils doivent également pelleter la boue qui adhère au fer de la pelle. La boue et les corvées qui en résultent découragent les soldats qui finissent par regretter les fortes chaleurs de l'été et la soif qui en découle. La boue est pour tous les soldats des tranchées un véritable cauchemar dans l'enfer de la Grande Guerre. Le seul point positif de la boue est l'arrêt naturel des combats. Allemands et Français oublient provisoirement leur haine et se focalisent sur l'élimination de l'eau et de la boue, sur le sauvetage des munitions noyées, sur le sauvetage des armes menacées par la rouille.
La promiscuité des soldats n'enlevant quasi jamais leurs chaussures, ne se lavant pas souvent, ne changeant que rarement de vêtements et de sous-vêtements, attire rapidement dans les tranchées les rats, les poux et les vermines de tout genre. Les rats sont un véritable fléau qui est le principal ennemi dans les secteurs "calmes". Très voraces, ils réveillent les soldats la nuit en leur passant sur le corps ou la figure ou encore en les mordant dans leur quête de nourriture. Les soldats sont obligés de pendre leurs victuailles à l'aide de fils de fer pour éviter que les rats ne mangent tout. Les rats dévorent tout ce qui peut être mangé, y compris les corps des soldats tombés dans le no man's land. En plus de ne pas avoir peur des hommes, les rats sont très prolifiques lorsqu'ils ont trouvé une nourriture abondante. Les soldats doivent donc les combattre pour éviter l'envahissement. Ainsi dès 1916, le haut commandement français organise une chasse aux rats en proposant 1 sou par queue de rat livrée. Les complications administratives anéantissent rapidement cette chasse. Les soldats doivent donc se débrouiller pour éliminer un maximum de rats et éviter ainsi maladies et morsures dues aux rats trop impétueux. Les soldats fabriquent des nasses, des collets, des trébuchets et parfois des pétards à cheddite. Interdits dans les tranchées, les chiens de chasse sont à présent admis et les chats tolérés. En plus de chasser les rats, les chiens deviennent des compagnons de vie très appréciés par les soldats des tranchées.
Le ravitaillement, élément capital aussi bien pour les soldats que pour les civils, reste une préoccupation prioritaire durant toute la durée du conflit. Dès les premiers mois de guerre, des manques dans l'alimentation des soldats sont mis en évidence. Face aux Allemands, équipés de cuisines roulantes, les Français doivent improviser pour chauffer leurs repas. L'hiver 1914 oblige les soldats français à trouver du bois sec dans les maisons abandonnées ou à l'acheter chez des marchands pour pouvoir se réchauffer et chauffer leurs repas. Jusqu'en février 1915, aucun combustible n'est fourni par l'intendance militaire aux soldats du front. Les roulantes françaises font enfin leur apparition en mars 1915. D'un poids de 900 kg, elles possèdent un foyer, plusieurs marmites à soupe de 350 litres chacune et une marmite à café de 70 litres. En 1914, il y a 35 cuisiniers par compagnie pour 16 roulantes. Dès 1915, l'État-major français se rend compte que la guerre va durer. Aussi, le ravitaillement du front est modifié : les roulantes disposent de plus grands récipients tels que les lessiveuses et les chaudrons, les cuisiniers ne sont plus que 16, les roulantes sont réduites à 4 par compagnie. La gestion du bois pour alimenter les foyers devient contrôlée. Il est à présent interdit aux cuisiniers de couper les arbres avoisinant leurs roulantes pour approvisionner le feu de leurs foyers. Le bois provient dorénavant de l'arrière.
L'alimentation diffère en fonction de l'origine des troupes. Aux côtés des soldats de la métropole se battent les soldats coloniaux. Ces derniers n'ont pas les mêmes habitudes alimentaires. Il est donc nécessaire d'adapter l'alimentation afin d'éviter les problèmes de digestion et les problèmes religieux. Ainsi une partie du pain est remplacé par du riz, la viande de porc est remplacée par la viande de boeuf, etc. En 1910, la ration quotidienne du soldat français est établie comme suit :
Cette ration dite normale atteint 2 750 calories. En plus de cette ration normale, il existe des rations fortes et des rations de réserve que les généraux peuvent commander pour les soldats sous leur ordre en fonction des efforts demandés. Ces deux types de rations sont composées des mêmes aliments que la ration normale. Seule la quantité change. Au début de la guerre, la viande provient principalement des bovins français achetés ou réquisitionnés. Mais avec l'allongement de la guerre, le ministère du ravitaillement doit s'approvisionner en viande dans d'autres pays comme les États-Unis d'Amérique, le Brésil, le Venezuela, l'Argentine ou encore le Canada. Afin de résoudre les problèmes de transport en provenance du continent américain, on a recours à la congélation de la viande et à la création des conserves de boeuf. Ces boites de conserve ont plusieurs avantages. On peut la transporter facilement, on peut manger son contenu froid ou chaud, on peut la laisser tomber sans craindre de la casser. Dès 1916, ces conserves inondent les tranchées et reçoivent le doux nom de singe.
Lors des premiers mois de guerre, se laver ne fait pas partie des priorités des soldats installés dans les tranchées. Leurs priorités se résument à boire, à manger, à dormir et surtout à rester en vie. De plus, en premières lignes, les soldats manquent souvent d'eau à boire. Alors l'eau pour se laver est plus que secondaire. Lorsqu'un point d'eau se trouve à proximité des lignes de combat et si l'ennemi souhaite également profiter de cette eau, il arrive parfois qu'une trêve temporaire permette aux soldats des deux camps d'aller se ravitailler en eau fraîche. Des douches sommaires sont parfois installées dans les secondes lignes, ce qui permet aux soldats mis au repos de se laver. Une minorité des soldats en profitent pour se raser, se faire couper les cheveux et laver leurs vêtements si le temps le permet. Ces courageux sont considérés comme des excentriques ou des délicats. Pour la majorité des soldats, avoir les cheveux crasseux et avoir la barbe non rasée font partie de la vie du soldat. Il n'est dès lors pas étonnant que ces soldats aient reçu le surnom de poilus.
Les conditions de survie des soldats en premières lignes constituent un véritable défi à l'hygiène. En effet, ces soldats qui ne peuvent ni enlever leurs bottines ni se déshabiller sont constamment trempés de sueur ou d'eau de pluie. Ne changeant pas de vêtements durant parfois plusieurs semaines, ils abritent des parasites tels que les poux avec lesquels il doivent cohabiter. De plus, si l'eau se fait rare, ce qui est souvent le cas, les soldats manipulent le pain avec des mains plus que sales. Tous ces facteurs sont normalement générateurs de gangrène ou de tétanos auxquels les soldats semblent échapper pour la plupart. Sachant qu'un soldat malade est un soldat en moins au combat, certains chefs prennent le problème de l'hygiène très au sérieux. Ils imposent par exemple la tonte des cheveux toutes les 4 semaines à leurs soldats, ou encore la coupe de la barbe toutes les 3 semaines. Il n'y a qu'au repos et dans un cantonnement digne de ce nom que les soldats peuvent s'épouiller, se laver, se doucher et laver leurs vêtements. Au début, pour traiter les poux, les services sanitaires passent le corps de chaque soldat au crésyl. Ce traitement brûle le corps durant une bonne heure et reste sans effet sur les poux. Heureusement, ce traitement est rapidement abandonné et les soldats continuent leur chasse aux poux manuellement.
L'hygiène aux feuillées est encore une étape que chaque soldat doit franchir pour ne pas avoir de problèmes intestinaux. Les toilettes des premières lignes ne sont rien d'autre que de simples tranchées destinées à servir de latrines. Ces petites fosses sont creusées aux abords des tranchées dans les endroits les plus abrités du feu ennemi. Elles sont encadrées par deux planches sur lesquelles les hommes de tous grades posent leurs pieds. Il n'y a ni eau, ni papier, ni assise. Par contre, il y a les odeurs et les innombrables insectes volants.
Dans les tranchées de premières lignes, les soldats veillent les pieds dans la boue, partent au ravitaillement en traversant les boyaux, essayent de trouver le sommeil par tranches de deux heures, tentent de chauffer leur repas, écrivent à leurs proches ou à leur marraine de guerre à l'aide d'un bout de bougie. Dans les secteurs dits calmes, l'ennui arrive rapidement. Il faut alors trouver des distractions pour occuper l'esprit des soldats. Ces distractions ne sont pas nombreuses.
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