La Grande Guerre

La contribution des pigeons à la Grande Guerre

Les réquisitions

  • Du côté allemand

Très vite, les Allemands comprennent que les pigeons voyageurs peuvent servir de moyen de communication efficace en attendant la mise en place de lignes téléphoniques fiables. Dès 1915, les Allemands publient l'interdiction le lâcher des pigeons dans les territoires français occupés. Les colombophiles qui libèrent leurs pigeons, même par erreur, sont arrêtés, condamnés pour espionnage et très souvent fusillés. Il en va de même pour les colombophiles qui refusent de remettre leurs pigeons aux autorités allemandes.

  • Du côté français

Après 1870, l'armée française a bien compris la nécessité d'un service colombophile puissant. Aussi dès son entrée en guerre, l'armée française dispose d'un service colombophile rattaché à l'armée du génie, section de la télégraphie militaire. Toutes les places fortes de l'Est possèdent leurs colombiers militaires. Les divisions de cavalerie sont aussi munies de volières. L'invasion du nord de la France par les troupes allemandes décime le nombre de pigeonniers de l'armée française. Pour combler ces pertes, l'armée française doit réquisitionner des pigeons voyageurs chez les particuliers. Grâce à l'aide de colombophiles qui aident au dressage des pigeons voyageurs, leur nombre passe de 1 500 pigeons en 1915 à près de 20 000 en 1917. Durant les quatre années de guerre, les pigeons restent le meilleur moyen de communication. Des premières lignes du front, ils sont envoyés vers l’arrière pour transmettre des messages. Pour plus de sécurité, les militaires envoient deux pigeons avec le même message au cas où l’un n’arriverait pas. L’enjeu est tellement important que, dans les zones occupées, les Allemands ordonnent d’abattre systématique des pigeons domestiques.

Les besoins alimentaires

  • Du côté français

Tout comme pour les soldats, l’alimentation des pigeons voyageurs occupe une place aussi importante que l’exercice physique. Sportifs, ils se dépensent énormément et ont des besoins énergétiques spécifiques. Aussi, leur alimentation doit être composée de 25 % de blé, de 25 % de maïs, de 23 % de pois, de 16 % d'orge, de 8 % de graines de tournesol et de 3 % de colza. Seule une alimentation de bonne qualité permet aux pigeons voyageurs d'effectuer de longs vols. En plus de cette alimentation, ils sont besoin d'eau fraîche de qualité et en grande quantité.

Les soins quotidiens

  • Du côté français

Les pigeons voyageurs ne demandent pas beaucoup de soins pour être en bonne santé. Cependant, le stress est relativement important chez ces pigeons surtout lorsque les colombiers mobiles se rapprochent des zones de combat. De plus, lorsqu'ils sont installés au front, les pigeons respirent la poussière, les gaz, les fumées et doivent endurer les bruits des armes et des obus. Malgré cela, ils arrivent dans la plupart des cas à accomplir leurs missions.

Les rôles des pigeons

  • Du côté allemand

Avec l'enlisement du conflit dès 1915, la guerre des positions rend vitale la communication avec les autres unités et l'arrière. Malgré le développement des lignes téléphoniques, les pigeons sont fortement utilisés. Ces pigeons accomplissent leurs missions malgré les fumées, les bombardements, les projectiles, et la poussière, alors que les liaisons téléphoniques sont constamment interrompues par la destruction des fils. De plus, grâce à l'invention de la caméra miniature par Julius Neubronner, les Allemands utilisent les pigeons voyageurs pour espionner le territoire ennemi. Pour ce faire, chaque pigeon voyageur sélectionné est équipé d'un harnais qui transfère le poids d’une petite caméra de la poitrine au dos. Quand le pigeon est libéré, il retourne à son colombier sur un trajet et à une vitesse relativement prévisible. Cela permet de contrôler les endroits où le déclencheur automatique prendra des photos aériennes d'un format de 3 x 8 cm.

Un pigeon équipé d'un caméra par les Allemands
Crédit photo : Bundesarchiv
Des pigeons équipés d'un caméra par les Allemands
Crédit photo : Bundesarchiv
Des photographies réalisées par les caméras fixées sur les pigeons voyageurs
Crédit photo : Bundesarchiv
Le pigeon Kaiser
Crédit photo : National Museum of american history

Parmi les pigeons célèbres allemands, il faut citer le pigeon Kaiser qui porte la couronne impériale 17-0350-47. Âgé de 6 semaines, il est envoyé dans les colombiers allemands. Là-bas, il subit des mois d'entraînement. Début 1918, il est envoyé dans une zone allemande du front ouest. Avant même d'avoir accompli la moindre mission, les troupes américaines font prisonniers les Allemands de la zone. Il est alors envoyé avec les autres oiseaux pris vers les États-Unis d'Amérique pour parader dans les différentes villes et faire la publicité de la colombophilie. Il mourra en Amérique en 1949.

  • Du côté américain

Peu de temps après son entrée en guerre, le corps des transmissions de l'armée américaine décide d'intégrer des pigeons voyageurs dans son système de communication. En mars 1918, le service Pigeon du Signal Corps commence ses opérations en France. Lors des combats d'octobre 1918, les troupes américaines capturent des prisonniers et du matériel allemands. Parmi ce matériel se trouve un panier à pigeons allemands contenant 10 pigeons, dont le jeune Kaiser. Lorsque la guerre prend fin, le 11 novembre 1918, Kaiser reste confiné dans un pigeonnier avec les autres pigeons. Leur sort n'est pas encore connu. En décembre 1918, le Signal Corps décidera de ramener aux États-Unis d'Amérique les pigeons américains distingués et les oiseaux allemands capturés. Le 17 juillet 1919, Kaiser et 21 autres oiseaux allemands capturés arriveront en Amérique. Ils seront exposés et utilisés à des fins de recrutement en 1919 avant de s'installer au Signal Corps Pigeon Center à Fort Monmouth, au New Jersey. C'est là qu'il recevra le surnom de « Kaiser ». Il trouvera un compagnon et se reproduira. Dans les années 1930, Kaiser sera le dernier pigeon allemand capturé survivant sous la garde américaine. Entre-temps, sa progéniture sera championne de course américaine. Il décédera en 1949 à Fort Monmouth.

Le pigeon Cher ami
Crédit photo : Extrait Histoire de guerre
Le pigeon Cher ami
Crédit photo : DP
Le défilé d'oiseaux allemands capturés
Crédit photo : Archives nationales américaines
Le défilé d'oiseaux allemands capturés
Crédit photo : Archives nationales américaines

Parmi les pigeons célèbres britanniques entraînés par les troupes américaines, il y a Cher ami décoré de la croix de guerre américaine. En 1918, ce pigeon sauve un bataillon américain égaré dans les lignes allemandes. Sans munitions et sans ravitaillement, plusieurs estafettes sont envoyées prévenir la 77e division d'infanterie américaine. Sans nouvelle, le colonel Whittlesey donne l'ordre d'envoyer les pigeons qui se font tuer par l'artillerie allemande sauf Cher ami. Ce pigeon, blessé par des éclats d'obus, arrive néanmoins à rejoindre son colombier pourtant distant de 40 km. Lorsqu'il se pose, il a perdu une patte, un oeil est blessé et son poitrail est ouvert suite au tir d'une balle de fusil allemand. Son exploit permet d'avertir la 77e division d'infanterie américaine qui envoie des renforts qui ramènent le bataillon à bon port. Il mourra à Fort Monmouth, dans le New Jersey, le 15 juin 1919. Son corps sera empaillé et envoyé au Smithsonian Institute à Washington, aux États-Unis d'Amérique.

Un autre pigeon, Spike, est également célèbre pour avoir accompli 52 missions avec succès durant la seule année 1918. Ce pigeon, né en France, est entraîné par les Américains qui remarquent rapidement l'endurance exceptionnelle et le vol très rapide de ce pigeon. À la fin de sa formation, à l'automne 1918, il part en Argonne. Là-bas, il est affecté à un char britannique. C'est de ce char qu'il accomplit 52 missions sans encombre malgré les tirs ennemis et les gaz. À chaque lâché, Spike améliore ces performances en vol. Il arrive ainsi à parcourir 20 km en 21 minutes. Un exploit inégalé. Le général américain, John Pershing, le fera cité pour une citation et ordonnera son départ pour les États-Unis d'Amérique à la fin de la guerre afin qu'il puisse parader avec les autres pigeons voyageurs devenus des héros de guerre.

  • Du côté belge

Bien avant le début du conflit, l'armée belge utilise les pigeons voyageurs pour communiquer. Lors de l'invasion allemande, une partie de ceux-ci est confisquée par les troupes allemandes qui les utilisent. Entre 1914 et 1918, les Allemands confisquent environ un million de pigeons rien qu'en Belgique.

Un pigeonnier militaire belge à La Panne
Crédit photo : DP
Une unité de transmission colombophile belge
Crédit photo : DP
Une section colombophile belge
Crédit photo : DP
L'envoi d'un message par pigeon
Crédit photo : DP
  • Du côté britannique

Avant le déclenchement du conflit mondial, les Britanniques considèrent que les pigeons voyageurs sont un moyen de communication dépassé. Aussi, lorsque les premiers Britanniques débarquent en France, ils n'ont aucun pigeon voyageur. Rapidement, le général Pershing se rend compte que les communications sont trop aléatoires. Il demande donc à Londres l'envoi de pigeons voyageurs afin de recevoir régulièrement des informations des différents fronts.

Un pigeon voyageur
Crédit photo : DP
Un transfert de pigeons voyageurs vers un poste avancé
Crédit photo : DP
Un message fixé sur un pigeon voyageur par un soldat britannique
Crédit photo : DP
Un éléphant de cirque réquisitionné par l'Armée allemande
Crédit photo : Evans

C'est ainsi que les 100 000 pigeons voyageurs de l'armée britannique servent de messagers pour atteindre des endroits où les communications passent mal. Afin de communiquer en toute circonstance, des pigeons sont embarqués dans des chars, dans des sous-marins - en cas de naufrage - et même dans des avions - en cas d'accident à l'atterrissage.

Des soldats britanniques s'entraînant au lâché de pigeon
Crédit photo : Archives Hulton
Une caisse de transport colombophile britannique
Crédit photo : DP
Un soldat britannique donnant à boire aux pigeons
Crédit photo : DP
L'envoi d'un message par pigeon
Crédit photo : DP
  • Du côté français

Au déclenchement de la guerre, l'Armée française dispose d'une dizaine de colombiers militaires dont les pigeons voyageurs sont au service du renseignement et non pas au service des troupes de premières lignes. Les messages des premières lignes sont transmis vers l'arrière par des estafettes hommes ou chiens. Le général Joffre n'a aucune confiance dans les téléphones et refuse de s'en servir. Ainsi, chaque corps d'armée possède sa section de colombophiles constituée de six voitures ou colombiers roulants, appelés araba, contenant chacune 80 pigeons. Chaque voiture dispose de cases superposées et de grillages permettant l'aération. Chaque case est occupée par un couple de pigeons. Après de longues séances d'entraînement, chaque pigeon est capable de parcourir 80 km en une heure. Lorsqu'ils sont réclamés dans des zones de combat, les pigeons voyageurs sont transférés par des cavaliers qui les portent sur leur dos dans des paniers en osier. Si les chemins vers les zones de combat sont impraticables pour les chevaux, ce sont les motocyclistes qui prennent le relais. Une fois en zones de combat, le stress est à son paroxysme pour les pigeons qui n'attendent que d'être relâchés pour rejoindre leur colombier dans lequel leur femelle les attend. Certains colombophiles ont tendance à affamer leurs pigeons afin d'être certains qu'ils reviendront au plus vite lorsqu'ils seront lâchés en zones du front. À leur retour, une nourriture abondante les attendra. Seuls 2 % des pigeons voyageurs lâchés ne retournent pas à leur colombier.

Des pigeons voyageurs
Crédit photo : Wikipedia
Envoi d'un message par des éclaireurs
Crédit photo : PVDE
Colombier roulant araba
Crédit photo : PVDE
Un lâché de pigeons voyageurs
Crédit photo : DP

Parmi les pigeons célèbres français, on ne peut oublier Vaillant, le pigeon décoré de la croix de guerre française. Ce pigeon reçoit sa médaille suite à l'attaque du fort de Vaux à Verdun par les troupes allemandes qui se déroule le 02 juin 1916. Utilisant des lance-flammes, les Allemands pénètrent rapidement dans le fort. Devant l'urgence de la situation, le commandant du fort, Sylvain Raynal, ordonne l'envoi de trois des quatre pigeons qui lui restent. Sans nouvelle, le commandant Raynal décide l'envoi de son dernier pigeon, Vaillant - matricule 787-15. En dépit des fumées et des gaz présents dans le fort, le pigeon Vaillant intoxiqué réussit à rejoindre son colombier et ainsi à remplir sa mission. Une contre-attaque est alors organisée pour aider les soldats pris au piège dans le fort. Le pigeon Vaillant vivra jusqu'en 1937.

Un poste colombophile au front
Crédit photo : DP
Le transfert de pigeons vers le front
Crédit photo : DP
Un autobus à impériale transformé en pigeonnier mobile
Crédit photo : DR
Un panier de transport de pigeons
Crédit photo : Wikipedia

Conscient de l'importance des pigeons dans la transmission d'informations, l'armée française multiplie ses colombiers fixes et mobiles. Ainsi, le nombre de ses colombiers passe de 48 en décembre 1916, à 72 en mai 1917, à 96 en juin 1917, à 250 en novembre 1917. Grâce à ces augmentations exponentielles, l'armée peut mettre entre 20 000 et 25 000 pigeons voyageurs à la disposition de chaque corps d'armée.

Le bilan

  • Du côté français

Chaque pigeon incorporé, dont la devise est "franchir ou mourir", reçoit un matricule qu'il conserve jusqu'à la fin de son service. En 1919, grâce à ce suivi, la France dénombre environ 20 000 pigeons voyageurs morts pour la patrie sur les 60 000 pigeons en service dans l'armée française. Ce chiffre est en partie dû au problème que rencontrent les pigeons pour le vol nocturne. Du coup, ils sont envoyés le jour ce qui facilite le travail des chasseurs allemands qui attendent leur passage pour les abattre. En 1936, la fédération nationale des sociétés colombophiles de France fera ériger un impressionnant monument à Lille à leur mémoire.

On estime généralement que 300 000 pigeons voyageurs ont servi dans les différentes armées sur l'ensemble du conflit mondial.


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