La Grande Guerre

Les gaz de combat durant la Grande Guerre

Vers une guerre moderne

La Grande Guerre est caractérisée par l'industrialisation et la production de masse dans le domaine de l'armement et de la technologie militaire. Les premières années de guerre voient la confrontation entre la technologie du XXe siècle et les tactiques du XIXe siècle qui prennent la forme de batailles indécises provoquant un nombre considérable de pertes humaines dans chaque camp. Il faut attendre l'année 1918 pour que les différentes armées adaptent leurs tactiques militaires aux nouvelles technologies dans le cadre de la guerre moderne.

  • Les origines

Depuis l’antiquité, les armes chimiques et biologiques sont utilisées au combat. Ainsi, l'utilisation de poisons, de gaz sulfureux et de fumées toxiques fait partie de l'arsenal de nombreuses armées. Il faut attendre la fin du XIXe siècle pour enfin voir le développement de l'artillerie. Rapidement, des obus remplis d’oxyde de soufre ou de chlore font leur apparition. Au début du XXesiècle, l'Allemagne possède l'industrie chimique la plus avancée d'Europe. Elle produit plus de 80 % des teintures et des produits chimiques du monde. Malgré la signature de la convention de La Haye en 1899 et en 1907, la France, l’Allemagne et de nombreux pays continuent à développer des armes chimiques. Avant le début du conflit mondial, les Français mettent au point une grenade suffocante. De leur côté, les Allemands étudient les effets du chlore.

  • Les premiers essais

Bien que les conventions de La Haye interdisent l'utilisation des gaz de combat, dès le début de la Grande Guerre, les armes chimiques sont utilisées. Au mois d'août 1914, les Français utilisent dans des grenades une nouvelle arme : le gaz lacrymogène. Ce gaz n'est pas mortel et occasionne une gaine momentanée chez la personne qui l'inhale. La véritable guerre chimique commence en 1915 avec les Allemands qui utilisent des obus à gaz sur le front de l'Est, le 31 janvier 1915. Cette première attaque au gaz est un échec car les conditions climatiques empêchent les effets escomptés. Forts de cette première expérience, les Allemands décident de lancer la première attaque aux gaz à grande échelle en déversant plus de 150 tonnes de chlore sous pression dans le secteur d'Ypres, en Belgique, le 22 avril 1915. Le nuage de gaz chargé de chlore, d'une longueur de 6 km et d'une profondeur de 1 km, intoxique près de 15 000 soldats français et canadiens.

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N'ayant pu enfoncer complètement les défenses canadiennes, les Allemands libèrent un second nuage de dichlore contre les défenses canadiennes le 24 avril 1915. Certains soldats canadiens, ayant une formation en chimie, ont reconnu le dichlore deux jours plus tôt. Aussitôt, ils conseillent aux autres soldats de mouiller des tissus avec de l’eau ou de l’urine. Malgré cette protection rudimentaire, les défenses canadiennes sont débordées et retraitent vers une ligne de tranchées secondaires. L’avancée allemande est minime et n'a pas manqué d'effrayer les soldats allemands devant avancer dans le nuage toxique vert-jaune qui s'empare du champ de bataille. Le bilan officiel de cette attaque fait état de plus de 1 000 morts. Les Alliés dénoncent une guerre lâche et prennent l'opinion internationale à témoin. À partir de cette date, la recherche et l’usage des armes chimiques s’intensifient dans les deux camps. Près de 45 familles d’agents chimiques sont testées et produites entre 1915 et 1918.

  • Les gaz mortels

Le 01er septembre 1915, les Allemands réalisent des attaques au phosgène, mixture de chlore et oxyde de carbone, sur la ville de Riga, en Lettonie. Le bilan est d'environ 6 000 morts et 20 000 gazés. Les chercheurs allemands vont encore plus loin en développant une nouvelle substance à base de Brome. En septembre 1915, les Français réalisent leur première attaque massive aux gaz en utilisant des obus avec du disulfure de carbone. Les Britanniques en font de même lors de la bataille de Loos. En 1916, les Français copient les Allemands en utilisant des obus remplis de phosgène, provoquant ainsi de lourdes pertes dans les tranchées allemandes. Ce gaz a la particularité d'être plus toxique, plus difficile à déceler et donc plus efficace.

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Crédit photo : Archives Canada
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La guerre des gaz se transforme radicalement en juillet 1917 avec l'apparition du gaz moutarde. Lancé dans des obus marqués de croix jaunes, le gaz moutarde brûle les poumons comme les gaz conventionnels, mais laisse aussi de grandes ampoules sur la peau et provoque la cécité. De plus, le gaz moutarde contamine la boue où les soldats sont installés. Les Allemands sont les premiers à en faire un usage intensif lors de la bataille d'Ypres. Les Français le resynthétisent et l'utilisent à leur tour contre les Allemands. De leur côté, les Britanniques l'utilisent pour la première fois lors de la bataille de la Cote 70 en août 1917. C'est ce gaz qui fait le plus de victimes durant le conflit. On estime à plus de 130 000 tonnes les quantités d’armes chimiques utilisées lors de la Grande Guerre. À l'issue du conflit, le nombre de gazés s'élève à 1 300 000 dont environ 90 000 mors. Cela représente environ 4 % des pertes enregistrées sur l'ensemble du front. Ces gaz ne semblent donc pas avoir d'effets majeurs sur le cours du conflit, mais en revanche, ils rendent encore plus insupportables les conditions de vie déjà difficiles des combattants installés dans les tranchées. En 1918, la plupart des armées engagées dans le conflit ont recours à des attaques chimiques. En 1918, les obus chimiques représentent entre 20 et 40 % des obus d’artillerie.

  • Les effets des gaz

Les premiers gaz à base de chlore et de gaz lacrymogène provoquent des irritations oculaires, des incapacités temporaires, des blessures et peuvent aller jusqu’à provoquer la mort. Avec l'apparition du phosgène, plus insidieux, car invisible, arrive les problèmes pulmonaires. En effet, ce gaz provoque l'accumulation de fluides dans les poumons. En quelques heures, les poumons se remplissent, et les hommes gazés peuvent étouffer sous deux litres de liquides à l’heure, et finissent par se noyer dans leurs propres fluides. Le gaz moutarde, quant à lui, peut provoquer la cécité, des brûlures, des asphyxies, des réactions cutanées, des infections des muqueuses des voies respiratoires pouvant parfois entraîner la mort. Le gaz moutarde contamine également les uniformes des soldats ce qui provoque la contamination de médecins et d'infirmières ayant été en contact avec les soldats gazés.

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Les effets des gaz ne sont pas seulement physiques. Le stress grandit dans les tranchées. Certains soldats ont peur de ne pas pouvoir mettre leur masque rapidement ou de ne pas le trouver au moment opportun. De plus, le port du masque sape le moral des soldats qui se retrouvent avec une vision limitée ce qui isole les hommes et les empêchent d'affronter leur peur avec leurs camarades des tranchées. Pour amoindrir ce stress, à partir de 1916, des spécialistes de la chimie enseignent aux soldats comment se protéger des agents chimiques et comment nettoyer leur respirateur moderne.

  • Les contre-mesures

En 1914, rien n'est prévu contre des attaques chimiques du côté français. Aussi, les premiers soldats gazés n'ont aucun moyen de se protéger. Rapidement, ils bricolent des systèmes de protection respiratoires de fortune. Par contre, du côté allemand, une protection rudimentaire équipe les soldats qui doivent manipuler les bidons de chlore. Face aux effets du chlore, un médecin canadien recommande aux soldats de placer sur la bouche et le nez un tissu épais imbibé d’une solution d’eau, de bicarbonate de soude et d’urine. L’ammoniac contenu dans l’urine, réagissant avec le chlore, permet d’échapper aux effets du chlore. Suite à la première grande attaque chimique d’Ypres en 1915, les Alliés se lancent dans une course à la conception de protections respiratoires pour les unités combattantes. Les systèmes de protection respiratoires par compresses se développent rapidement. Les Alliés créent tout d’abord des bâillons copiés sur les modèles allemands trouvés sur le front. Ils se composent d’une enveloppe de tissus contenant des cotons imbibés de solution d’hyposulfite. Mais cette enveloppe qui tient sur le visage grâce à quatre lanières ne suffit pas pour protéger entièrement les voies respiratoires, car ces masques ne sont pas étanches. De leur côté, les Allemands sont équipés du gummimaske dès l'automne 1915. C'est le premier masque moderne fabriqué en tissu caoutchouté et équipé d’un système chimique filtrant interchangeable : la cartouche filtre. Cette cartouche filtrante est composée de charbon végétal, d’hyposulfite et de carbonate de soude. Particulièrement bien pensé, ce masque est imperméable au gaz lacrymogène et au gaz moutarde. Il offre également une protection efficace contre les fortes concentrations de phosgène.

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Les Français poursuivent leur avancée dans les équipements de protection en ajoutant des lunettes qui se sont véritablement étanches qu'en 1916. De leur côté, les Britanniques développent des cagoules qui semblent plus efficaces. Elles sont reprises par les Français pour compléter l’efficacité du bâillon et des lunettes. C'est à partir du 06 décembre 1916 que sont distribués les premiers masques complets recouvrant la totalité du visage et utilisant un système de compresses faisant lieu de filtre. Ce modèle de masque offre un bon champ de vision assuré par une vitre en plastique rectangulaire. Il est maintenu sur le visage grâce à 2 sangles élastiques. À chaque nouveau gaz de combat doit répondre un nouveau type de protection capable de neutraliser et de protéger les soldats. Chaque nouveau masque à gaz doit être efficace contre les nouveaux gaz, mais également conserver leur efficacité contre les procédés précédents, qui continuent à être utilisés. C’est une guerre technologique qui s’engage entre les chimistes et ingénieurs des deux camps.

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